Marathon du Mont-Blanc : un trail raconté par un passant - Louise Voyage

Des récits d’exploits sportifs il y en a beaucoup, vous en avez sûrement déjà lu. Prenez le livre de Kilian Jornet ou encore les aventures de Mike Horn. C’est beau, c’est grandiose. Nous sommes admiratifs devant ces hommes et femmes qui partent pour des challenges impossibles. À la lecture de leurs livres, on s’imagine leurs prouesses, leurs difficultés, leurs joies et découvertes. On vit avec eux. C’est super …

En Juin dernier, Julian se mit au défi de faire le trail du Marathon du Mont Blanc. Une course difficile et technique qui n’a rien à envier à l’UTMB, trail mondialement connu, même des néophytes. Le parcours fait le tour de la vallée de Chamonix jusqu’à la frontière Suisse, et évolue entre 2000 et 2500m d’altitude. Il fait 90 km et plus de 6200D+

Mais aujourd’hui je vais vous raconter l’histoire du spectateur, le passant qui regarde ces aventuriers s’en aller. Ceux qui sont là avant, pendant et après l’épopée. Les braves qui encouragent leur héros d’un jour, ceux qui croient aux rêves des autres. Les oubliés des livres, et des beaux souvenirs. Nous sommes pourtant bien là, invisibles pendant que le monde s’agite, mais loin d’être inactifs !

Départ du trail matinal

Départ dans la nuit à 4h du matin. 1000 traileurs s’élancent pour leur première montée, direction le Brévent à 2500m d’altitude. Pas de précipitation, une course de 24h les attend, les meilleurs feront le parcours en 11h. Au centre de Chamonix, il ne reste que les accompagnants, mal réveillés, ils sont déjà présents au cœur de la nuit. Ils ont fait du bruit pour leur départ, et leurs pensées suivront les coureurs en haut des cimes. Pour eux, une attente silencieuse commence. Les yeux sur l’horloge, ils partent rapidement se reposer, avant d’aller au premier point de passage accessible, 25km plus loin, au col des Mottets.

Le jour se lève, les coureurs se sont éparpillés dans la montagne, les premiers abandons sont annoncés. Au col, les voitures s’entremêlent au bord de la route. Les familles sont présentes le long du sentier pour les encourager. La plupart ne sont pas retournés se coucher, toujours en éveil « au cas où ». Le décor est magnifique, la ville a disparu, et le soleil perce les aiguilles de Chamonix. Il fait encore un peu froid. Les traileurs approchent sous le bruit des applaudissements et repartent avec des paroles bienveillantes. Des mots rapides ont été échangés, tout semble aller bien. On peut ensuite les retrouver au Buet, quelques kilomètres plus loin, puis au Molard.

La difficile montée d’émosson

Pour ma part, je retrouve directement Julian à Émosson, un gros ravitaillement à mi-course, à 43km du point de départ. La montée pour y accéder est réputée comme très difficile. En ce jour de juin, le soleil frappe fort le versant. En vallée, nous sommes en période de canicule, un temps redouté par les participants. Pour atteindre le point de ravitaillement, les coureurs font face à un mur de 800m de dénivelé, après 10h de course, en plein cagnard ! C’est là que les premières inquiétudes arrivent. Les accompagnants sont toujours là, le parking est plein à craquer. Certains curieux et autres randonneurs encouragent aussi ces inconnus.

Je m’avance sur le parcours pour l’attendre au sommet de cette horrible montée. D’autres familles sont là aussi. Nous voyons les traileurs dans le mal, dégoulinants et déshydratés. Julian a du retard sur son horaire de passage. J’attends une heure sans nouvelle puis je le vois enfin passer la crête.

À mi-course Il paraît démotivé et ne parle pas beaucoup. Par 30 degrés je lui trouve un coin d’ombre au milieu des autres coureurs cassés. Il ne veut pas manger, mais je vais lui chercher des bananes. Ses pieds moites et plissés sont dans un mauvais état. Des kinés et autres médecins sont là pour aider les coureurs. Sans plus attendre je pars chercher un podologue. C’est dans ce genre de moment que les accompagnants deviennent les héros de l’aventure. On prend en charge notre sportif, on l’aide comme on peut, et on prend des décisions qui l’aideront à repartir, malgré leurs doutes et la mauvaise humeur ! Finalement, après 45min de pause, il repart. C’est une petite victoire pour moi !

Le trail toujours dans la tête

Je le retrouve rapidement ensuite, au km 48. Il a repris de l’énergie et il continue la course. Encore une fois, je retrouve les mêmes familles, les mêmes supporters, toujours présents après 12h de course ! Les yeux sur la montre, à évaluer l’état de leur sportif, à faire des pronostiques et anticiper ses besoins.

Cette fois Julian repart pour une grosse étape. Impossible de le voir avant le ravitaillement du Tour, 15 km plus tard. Sur le parking, les accompagnants sont moins nombreux. À ce stade, beaucoup sont déjà rentrés chez eux, leurs coureurs ayant abandonnés. J’attends 4h30 sans nouvelle. Cette fois c’est sûr, il s’est passé quelque chose. Il m’envoie un message, il est proche de l’abandon. Durant la montée aux Posettes (2200m) il a eu un coup de chaud. Je prends donc un sac, de l’eau, un peu de nourriture et je décide d’aller le chercher dans la montagne. Il est 18h30 et la chaleur de la journée commence enfin à s’estomper. Je croise encore quelques sportifs, un peu surpris de voir un passant ici. Un nombre important de personnes me demande si le ravitaillement est encore loin, et plus je monte, plus ma réponse les déçoit. Je vois l’espoir dans leurs yeux s’éteindre. 400m de dénivelé plus tard, je retrouve Julian qui marche encore. Un peu dans les vapes, il ne comprend pas bien pourquoi je suis là, mais il est content. Il n’a finalement pas laissé tomber ! Sans vraiment plus d’explications, je cours avec lui jusqu’au ravitaillement du Tour. Il décide de continuer, ça m’inquiète un peu … Il a déjà parcouru 63km et plus de 4700m de dénivelé positif !

20h, la nuit tombe doucement et le prochain point de passage se trouve au Bois, 10km plus loin. Une petite étape qu’il parcourut plus vite que prévu, je l’ai presque raté au ravitaillement. Comme les autres supporters, je m’organise pour être à l’heure avec quelques friandises à fort apport nutritif (coca, pâte de fruits, graines). Il essaye de manger mais rien ne passe. Le corps lache et ce n’est pas rare de vomir. Il lui reste encore une grosse montée (1100D+) pour atteindre le balcon nord, un sentier aux pieds des aiguilles de Chamonix. Là-haut, impossible de le voir ou de le contacter, je ne le reverrais plus avant la ligne d’arrivée. Les 22 derniers kilomètres se feront de nuit, à la frontale.

Cela fait maintenant 10h que je le soutiens dans sa course. Certains moments sont longs, car je n’ai pas nouvelle entre les différents points de passage. Une application estime cependant sa position durant la course, mais ce n’est pas fiable à 100%. Pendant l’attente, je sers de messager, je tiens informé sa famille de son avancée, de son état physique comme mentale. Je prends aussi quelques photos. 

Une nuit sans fin

J’ai ensuite passé une bonne partie de la nuit dans ma voiture, à l’attendre, en espérant qu’il aille jusqu’au bout sans blessure et sans problème. Quoi qu’il arrive je ne pourrais plus rien faire. J’essaye de dormir un peu malgré le froid des nuits montagnardes. Pas de pull, car nous avions prévu son arrivée avant minuit !

Les yeux rivés sur l’application, son heure d’arrivée recule d’heure en heure. Vers 2h30 je décide de rejoindre le centre de Chamonix, les rues sont désertes mais certains coureurs franchissent encore la ligne d’arrivée. Je vois encore des familles debout. Une femme, inquiète de ne pas voir son mari, laisse ses deux enfants et part le chercher dans la montagne, d’après elle, il aurait fait un malaise. Toujours pas de nouvelle de Julian. Une maigre farandole de lucioles quitte la forêt. Nous sommes toujours là pour les encourager. Dans la nuit noire, on entend des applaudissements à chacun des passages. On ne reconnaît que les visages au dernier moment.

D’une démarche cassée mais déterminée, je le vois enfin passer la lisière de la forêt. Il reste encore 1km pour atteindre l’arrivée. Je cours avec lui mais j’ai du mal à suivre son allure ! Sûrement l’énergie du désespoir !

Il passera la ligne d’arrivée à 3h43, après plus de 23h de course, en ayant parcouru 90km et 6200D+. Sa détermination lui a permis d’aller jusqu’au bout. Il fait partie des 556 finishers. Cette année fut particulièrement difficile à cause des fortes chaleurs. Seulement 45% des participants finiront la course.

Passage de la ligne d’arrivée à 3h43

Le trail du Marathon du Mont-Blanc (90km) est extrêmement dur mais offre des moments uniques et des paysages à couper le souffle ! Il y a aussi une belle cohésion entre coureurs et accompagnants. L’esprit de compétition disparaît au profit de l’amour de la montagne et du défi sportif.

Finalement je fais partie de ces invisibles, de ces personnes silencieuses, mais nécessaires aux exploits sportifs de ces héros, qui s’élancent courageusement dans leur quête de l’impossible. Je suis de ceux qui racontent leurs prouesses et rendent réelles leurs épopées. Et nous sommes indispensables, car nos regards font vivre leur fabuleuse histoire.

Parcours des 90km du Marathon du Mont-Blanc

Liens utiles :
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5 Comments

  1. 23h de course
    Je ne peux être qu’admirative par cet exploit. Un exploit physique mais surtout mental à mon avis !
    Félicitations (et félicitations aussi aux accompagnants 🙂 )

  2. Pfiou 800 mètres de dénivelé d’un coup c’est énorme ! Très beau récit en tout cas et intéressant point de vue, bravo à Julian ! 

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